Plus besoin de présenter Imhotep, celui qui est aux platines du plus célèbre groupe de rap français et dont tout le monde s'accorde à dire qu'il en est l'architecte musical. En parallèle de ses projets avec IAM, Imhotep sort ses propres productions. C'est avec iMusician qu'il a décidé de le faire. Il nous explique pourquoi il a fait ce choix et nous parle de son nouvel album Kheper Dub.
Cela fait plusieurs années que tu fais partie de l'industrie musicale française. Tu as pu constater l'évolution de ce marché. Aujourd'hui, tu passes par iMusician pour distribuer ton nouvel album Kheper Dub. Que t'offre cette plateforme par rapport au maison de disques avec lesquelles tu as pu travailler auparavant ?
Les contrats du 20ème siècle que nous avions signés avec les maisons de disques prévoyaient les mêmes taux de royalties sur les supports physiques et la vente en ligne, taux valables pour tous les nouveaux outils de distribution, existants ou « à découvrir » ! De plus, une clause de ces contrats permettait encore récemment aux majors d'utiliser notre musique comme produit d'appel pour vendre des forfaits internet ou téléphone, sans bien sûr reverser un centime aux artistes concernés ! Mais ça c'était avant… Aujourd'hui, une plateforme comme iMusician me propose d'abord une répartition nettement plus équitable, pour une visibilité et une accessibilité équivalente sur le net.
Aujourd'hui, on constate que la dématérialisation de la musique est de plus en plus omniprésente. Cela t'a-t-il forcé à repenser ta manière de distribuer tes projets ?
Depuis 25 ans, j'ai la chance de poursuivre une carrière jalonnée de succès discographiques et scéniques avec le groupe IAM, ce qui me permet d'être totalement indépendant dans mes projets solos. Cette indépendance, notamment financière, me laisse une totale liberté artistique et mes faibles coûts de production me libèrent de la pression de la rentabilité. Du coup , j'ai eu le loisir de suivre cette évolution de la dématérialisation avec un peu de recul, sans avoir à en subir aucune contrainte. J'ai pris la vague sans prendre de risques, comme un surfeur avec une bouée ! Bien sûr, pour beaucoup d'artistes de ma génération, la disparition du support a été fatale et seuls ceux qui ont continué à tourner en live s'en sont sorti. En conclusion, je pense qu'Internet est à la fois le problème et la solution ; le problème étant qu'on vend de moins en moins de disques, la solution étant qu'on peut avoir une visibilité énorme sur le net par rapport aux anciens moyens de promotion.
Tu as aussi choisi de sortir ton album en vinyle. Quelles ont été les motivations principales concernant le choix de ce support ?
Je ne peux pas m'en empêcher : je suis atteint d'une forme de fétichisme qui s'appelle la « collectionite vinylique aigüe » ! Plus sérieusement, la vraie raison de mon attachement au vinyle est bien sûr la qualité du son ! Pour rebondir sur la question précédente, la disparition annoncée du support s'accompagne d'un appauvrissement progressif de la qualité sonore. Je trouve qu'on avait déjà beaucoup perdu en passant du vinyle au CD, mais là, certains formats de numérisation et de téléchargement sont carrément pitoyables… C'est pourquoi je milite pour que l'on puisse au moins télécharger notre musique au format WAV ou AIFF, ce qui limite la casse. Et je milite aussi pour que les auditeurs s'équipent de vrais sound-systems avec des sub woofers : si vous écoutez mes albums sur votre ordinateur, vous n'entendrez que la moitié de ma musique. Je passe des heures à travailler mes lignes de basse, il faut respecter ça !
La sortie de Kheper Dub au format CD aura lieu plus tard et ne semblait pas certaine. Pourquoi cela a-t-il pris plus de temps que prévu ?
C'est tout simplement parce qu'iMusician a été plus rapide à me proposer un contrat et à distribuer mon album ! Il m'a fallu plus de temps pour trouver un distributeur physique, et arrivant à la fin de l'année, on a préféré reporter la sortie à début 2015. Mais ne vous inquiétez pas, chaque support à son petit plus. Vous avec un inédit différent en téléchargement et sur le vinyle et j'en prépare un pour le CD !
Après la sortie de...IAM, vous avez annoncé qu'il pourrait être le dernier disque du groupe à cause des maisons de disques qui se prennent des marges de plus en plus énormes. Le choix d'iMusician pourrait-il alors être légitime pour le groupe ?
Alors, d'abord deux petites rectifications à votre question : ce n'était pas seulement « après » mais aussi « avant ┌ la sortie de « …IAM » que nous avions parlé de « dernier album ». Et ce n'est pas à cause de « marges de plus en plus en plus énormes », car elles étaient déjà bien assez énormes comme ça ! Non, la réalité est que nous évoquions « Arts martiens » comme étant « notre dernier album contractuel », car c'était effectivement le dernier album « signé » au moment de sa sortie. Le succès de « Arts martiens » a incité notre maison de disques à sortir «…IAM » dans la foulée, car il était en grande partie déjà enregistré et mixé. Par la suite, le succès de ces deux derniers albums a incité notre producteur à nous proposer un nouveau contrat pour deux prochains albums ! Mais nous savions déjà que les producteurs ne sont pas des philanthropes… Par contre, poursuivre la carrière d'IAM en indé, même avec un distributeur comme iMusician, serait beaucoup plus compliqué : les budgets d'enregistrement et les moyens marketing-promotion sont hors de notre portée. On peut critiquer les majors compagnies pour de nombreux défauts, mais il faut reconnaître qu'en terme d'investissements financiers, de « force de frappe » et de visibilité dans les circuits classiques, ils sont imbattables !
Tu as eu ton propre label Kif-Kif Production. Peux-tu nous en parler ? Est-ce une expérience que tu pourrais refaire aujourd'hui ?
J'ai fondé ce label en 1996, tout d'abord pour éditer mes œuvres solos, puis je me suis lancé dans la production en 1997. J'ai ainsi produit l'album « Chroniques de Mars », et cet album a été certifié disque d'or en moins d'un an (100 000 exemplaires vendus !). Fort de ce premier succès, nous nous sommes lancés dans la production de l'album de Faf la rage « C'est ma cause ». La production de ce 2ème album a été si mal gérée que le budget d'enregistrement a été multiplié par 4 par rapport à celui de « Chroniques de Mars » ! Pour couronner tout ça, un mois avant la sortie de l'album, Philips commercialisait son 1er graveur de CD à moins de 600 francs. Dès le lendemain, on pouvait trouver l'album à 10 francs devant les collèges et les lycées, alors qu'il était à 220 francs dans le commerce ! Nous avons pris les débuts du piratage en pleine gueule et le label ne s'en est jamais remis. Suite à ces pertes financières, j'ai du faire un choix : fermer boutique ou vendre ma maison ! N'étant pas un martyre du hip-hop, j'ai gardé ma maison et j'ai tiré le rideau de la boîte.
En fait, je n'avais aucune expérience entrepreneuriale et avec l'aide de mon épouse Fabienne, nous avons géré ce label comme un projet associatif à visée sociale. Au final, une belle aventure humaine et artistique mais des résultats financiers nuls ou négatifs. Pour plaisanter, nous avions surnommé notre label « Abbé Pierre Productions et Sœur Thérésa Editions » !
Aujourd'hui, il serait hors de question pour moi de fonder un nouveau label : J'avoue que cette aventure m'a demandé beaucoup de sacrifices dans ma vie personnelle et familiale et dorénavant je préfère me consacrer uniquement à mes activités musicales.
Avec le Kheper Dub, les sonorités ethniques font un bond dans la dub. D'où de te vient ce goût pour ce style de musique ?
J'ai toujours écouté de la musique ethnique avec une préférence pour la musique d'Afrique du nord, sans doute due à ma naissance et mes premières années en Algérie. J'ai pratiqué les percussions depuis mon plus jeune âge, et à 8 ans je me suis fabriqué une batterie avec des barils de lessive et des ustensiles de cuisine de ma mère ! Après un apprentissage de la guitare blues-rock dans les années 70, j'ai connu une étape reggae-rock façon The Clash et Police. Puis dés le début des années 80, le reggae et le dub sont véritablement devenus ma première école musicale. J'y ai appris « sur le tas » à jouer de la batterie, de la basse, des claviers et me suis perfectionné à la guitare et surtout, j'ai appris les rudiments du mixage en écoutant du dub ! Ce rappel de mon parcours permet de comprendre aussi pourquoi on retrouve des sonorités ethniques et des grosses lignes de basse dans mes instrumentaux hip-hop.
Peux-tu nous parler des collaborations que l'on peut retrouver sur cet album ?
Sur 5 titres de l'album, on retrouve aux claviers Denis « Rastyron » Théry, pionnier du reggae marseillais et mon complice de dub-session. Sur « Kamilya Dub », c'est le virtuose Safwan Kenani qui officie au violon oriental. Sur « Salomon Dub », on retrouve Lamine Soumano, grand maître de la cora. Enfin, je rappelle que l'album entier a été mixé avec l'aide de Longu « Maraboo » et de « Rastyron ».
On a toujours pu voir du bon matos entre tes mains, que ce soit avec IAM qu'avec tes projets persos. As-tu fais l'acquisition de nouvelles machines ou restes-tu fidèle à tes MPC ?
Je reste fidèle à ma MPC 3000 et à ma SP1200 EMU pour l'essentiel de mes compositions. Comme claviers, j'utilise principalement un E4K EMU, un Trinity Korg, et un Nordlead. Depuis une quinzaine d'années, j'enregistre mes tracks sur ProTools, en passant par des D.I. et par un convertisseur Studer. Mes acquisitions studios les plus récentes remontent à 3 ou 4 ans : carte son Lynx Aurora et sommateur 16 voies Neve. Pour la scène , je travaille sur Ableton Live avec une carte son Apollo de chez UAD et une APC40 AKAÏ comme surface de contrôle. En fait, je suis un inconditionnel du son analogique !
Enregistres-tu certaines lignes de basses, rythmes à la guitare toi-même ?
Oui , la plupart… Comme je l'ai dit, j'ai la chance d'avoir appris dans les meilleures écoles, celle du reggae et du dub.