Streaming 2.0 : tout ce que vous devez savoir
- Martina
- 19 mars 2025, mercredi
Le terme « Streaming 2.0 » a fait son apparition dans les conversations au sein de l'industrie musicale, mais il reste relativement méconnu. Quelle est la stratégie derrière ce qui devrait être l'avenir du streaming musical ? Et qui en profitera ? Découvrons-le dans cet article !
Streaming 2.0 : l'avenir du streaming
Le concept de Streaming 2.0 a été introduit pour la première fois dans l'industrie musicale en 2024 lors de la journée des marchés financiers organisée par Universal Music Group (UMG) aux studios Abbey Road à Londres. Lors de cet événement, Lucian Grainge, président-directeur général d'UMG, a fièrement annoncé que le streaming musical entrait dans une nouvelle ère et qu'UMG avait déjà défini sa vision de l'avenir de l'industrie et son approche stratégique.
Grainge a prédit que d'ici à la fin de 2028, le streaming musical dépassera le milliard d'abonné·e·s, marquant ainsi une étape décisive pour l'industrie musicale. Le prochain objectif : atteindre les 2 milliards d'abonné·e·s. « Combien de temps cela prendra-t-il ? », s'est interrogé Grainge. Et surtout, que faudra-t-il pour y parvenir ?
En fin de compte, Streaming 2.0 représente un nouveau modèle de streaming musical, qui mettrait l'industrie musicale sur la voie de la réalisation de cette ambition. La stratégie actuelle, Streaming 1.0, est profondément axée sur la croissance du nombre d'abonné·e·s (le concept consistant à « inciter les gens à payer, puis inciter davantage de gens à payer ») et sur une proposition de valeur unique pour les consommateur·rice·s : offrir l'accès à un vaste catalogue musical à tout moment et en tout lieu. Si cette approche plutôt simpliste a permis de freiner la propagation du piratage numérique et d'accélérer l'adoption du streaming, UMG estime que l'avenir nécessite une approche plus sophistiquée et plus complexe. L'objectif d'un nouveau modèle de streaming musical est de maximiser la valeur client tout en stimulant à la fois la croissance du nombre d'abonné·e·s et l'augmentation du revenu moyen par utilisateur·rice (ARPU).
« Alors que le streaming a permis à UMG d'enregistrer une croissance solide pendant plus d'une décennie, le Streaming 2.0 marquera le début d'une nouvelle ère d'innovation, de segmentation des consommateur·rice·s, d'expansion géographique et de valeur ajoutée grâce à la croissance du nombre d'abonné·e·s et du revenu moyen par utilisateur·rice (ARPU) », a déclaré Grainge.
Concentrez-vous sur une proposition client segmentée
Pour développer ce nouveau modèle, Grainge a mis en évidence quelques changements et évolutions importants. Le premier consisterait à remplacer la « proposition simple et convaincante » par une « proposition client segmentée » plus détaillée. Ce changement vise à dépasser l'approche unique de « monétisation digitale à grande échelle » pour proposer des expériences et des offres tarifaires adaptées à différents segments d'audience.
En fin de compte, cette stratégie vise à favoriser un engagement plus profond avec les abonné·e·s tout en ouvrant de plus larges possibilités de monétisation, ce qui aurait une influence positive sur la croissance de l'ARPU. Dans l'ensemble, alors que le streaming 1.0 mettait l'accent sur le volume, c'est-à-dire la quantité de musique accessible, le nouveau modèle de streaming met l'accent sur la valeur. Il cherche à offrir des expériences plus attrayantes et plus intéressantes, en proposant des contenus, des produits et des niveaux de prix différenciés qui trouvent un écho plus significatif auprès des auditeur·rice·s.
UMG est fermement convaincu que « les abonnements musicaux restent largement sous-exploités sur le plan financier » et voit une « opportunité significative de pénétration des abonné·e·s » ainsi que le potentiel d'« augmenter l'ARPU sur toutes les plateformes et tous les marchés ».
Optimisation des superfans grâce aux niveaux premium
En parlant de création de valeur ajoutée et d'augmentation de l'ARPU, l'un des éléments clés de l'approche Streaming 2.0 est l'introduction de niveaux spécialisés pour les superfans. Grainge a souligné que le « super fandom » est « un élément central de l'économie de l'industrie musicale », mais que le modèle de streaming actuel ne tire pas pleinement parti des opportunités offertes par les superfans.
Pour cette raison, en plus d'offrir une gamme plus large et plus sophistiquée d'abonnements conçus pour différents types et niveaux d'amateur·rice·s de musique, les plateformes de streaming prévoient de lancer des abonnements « super premium », exclusivement destinés aux superfans. Ce niveau d'abonnement offrirait un contenu et des expériences exclusifs et de grande valeur, ce qui permettrait finalement de libérer le potentiel de dépense des superfans et leur volonté d'investir davantage dans la consommation musicale en échange d'une valeur ajoutée.
Cibler les opportunités mondiales et les marchés établis
Outre la stimulation des revenus provenant des abonné·e·s, Streaming 2.0 vise également à explorer et à identifier les opportunités mondiales permettant d'étendre la portée du streaming en ciblant à la fois les marchés émergents et les marchés établis. Une attention particulière sera accordée aux marchés dits à fort potentiel, où la popularité du streaming connaît une croissance rapide, tels que le Mexique, la Chine ou le Brésil. Selon UMG, ces régions recèlent un potentiel inexploité en raison du développement des infrastructures économiques et technologiques qui rendent le streaming musical inévitable à terme, une tendance déjà observable sur les marchés établis.
Gaby Lopes, vice-présidente principale de Global Insight chez UMG, a indiqué que sur les 23 marchés surveillés par UMG, qui représentent ensemble 91 % du paysage du streaming, environ 220 millions d'abonné·e·s potentiel·le·s font partie du « groupe cible ». Ces futur·e·s abonné·e·s potentiel·le·s ou consommateur·rice·s « en phase de réflexion » sont des personnes qui comprennent le concept du streaming musical payant, sont intéressées par cette offre et, surtout, sont prêtes à payer au moins le prix actuel de l'abonnement pour ce service.
Dependant, les marchés émergents ne sont pas les seuls à receler un potentiel caché. « Les marchés établis et ceux à fort potentiel offrent tous deux une marge de progression significative en termes de croissance continue du nombre d'abonné·e·s », a souligné Boyd Muir, directeur financier d'UMG. Il a souligné que même sur les marchés les plus établis d'UMG, le taux de pénétration des abonnements reste inférieur à 50 %, la plupart des marchés affichant un taux inférieur à 30 %. Par exemple, les États-Unis ont actuellement un taux de pénétration des abonné·e·s payant·e·s de seulement 42 %. « Lorsque nous examinons les 58 % restants de non-abonné·e·s, environ la moitié ont déjà abandonné les formats traditionnels », a ajouté Gaby Lopes.
Sur les marchés établis, notamment aux États-Unis, au Japon et en Allemagne, la nouvelle stratégie vise à augmenter le nombre d'abonné·e·s et les revenus en ciblant les auditeur·rice·s de livres audio, les auditeur·rice·s de radio par satellite et les consommateur·rice·s dans les régions à ARPU élevé.
Principes centrés sur l'artiste
Un aspect quelque peu controversé du Streaming 2.0 concerne son engagement en faveur de « principes centrés sur les artistes », une question que l'industrie a déjà eu l'occasion d'aborder. L'un de ces principes vise à lutter contre la fraude au streaming (ou streaming artificiel), qui consiste à détourner de l'argent du fond commun des revenus du streaming à l'aide de bots et de lectures automatisées de morceaux générés par l'IA. En 2024, Spotify a adopté une politique de tolérance zéro en matière de streaming artificiel, mettant en place des sanctions strictes pour toute activité suspecte détectée sur les profils des artistes.
Un autre principe vise à réaffecter les revenus provenant des « musicien·ne·s amateur·rice·s » (note de notre part : également les artistes émergent·e·s) aux artistes « professionnel·le·s » établi·e·s. En conséquence, Deezer, Spotify et Amazon Music ont introduit un seuil minimum de 1 000 écoutes en streaming pour que les artistes puissent percevoir des redevances sur ces plateformes.
Le Streaming 2.0 est-il bénéfique, et si oui, pour qui ?
Aujourd'hui, alors qu'UMG semble enthousiasmé par son nouveau modèle pour l'avenir du streaming musical, un grand nombre de professionnel·le·s du secteur restent sceptiques, abordent le sujet avec une prudence notable, et se demandent si « le Streaming 2.0 n'est pas qu'un nouveau moyen d'exploiter les passionné·e·s de musique ». Il faut reconnaître que, dans une certaine mesure, cela semble être le cas.
Bien sûr, cette vision repose sur un raisonnement clair. Bien que le streaming musical connaisse une croissance régulière, voire rapide dans certaines régions, et jouisse d'une grande popularité, les chiffres internes révèlent que les abonnements au streaming restent sous-monétisés. Selon certaines sources, les dépenses musicales par habitant actuelles, c'est-à-dire le montant dépensé par personne pour la musique, ne représentent que 50 % de ce qu'elles étaient à l'apogée de l'ère des disques physiques en 1999. Il n'est donc pas surprenant que les dirigeant·e·s du secteur musical cherchent à élargir la portée des abonnements, et, dans le même temps, à renforcer la valeur tirée de chaque abonné·e. Le Streaming 2.0 vise à répondre à ces ambitions en se concentrant sur des offres segmentées pour les consommateur·rice·s, en exploitant les superfans et les abonnements premium, et en explorant les opportunités qui se présentent à la fois sur les marchés à fort potentiel et sur les marchés développés.
Cependant, des inquiétudes subsistent quant à la valeur réelle pour les consommateur·rice·s. En ce qui concerne les abonnements super premium destinés aux superfans, beaucoup se demandent ce que les gens sont réellement prêts à payer pour un tel service payant. Les plateformes de streaming peuvent-elles rendre leurs offres super premium suffisamment attrayantes pour justifier des coûts d'abonnement plus élevés ?
Comme nous l'avons récemment signalé, les principales plateformes de streaming, notamment Spotify, Apple Music, Amazon Music et Live Nation, la plus grande société de billetterie au monde, ont envisagé la possibilité d'offrir un accès anticipé à la billetterie. Cela pourrait constituer un avantage supplémentaire pour les fans bénéficiant d'abonnements premium. Mais cela suffira-t-il ? Les tarifs des abonnements payants à tous les services de streaming ne cessent d'augmenter. Qu'est-ce qui incitera les utilisateurs à payer 20, 30 ou même 40 dollars par mois pour un abonnement à un service de streaming musical ?
Il est également important de souligner l'évolution de la culture des célébrités ces dernières années. Beaucoup pensent que la valeur et l'importance de cette culture ont progressivement diminué, sous l'effet de nombreux facteurs, notamment les difficultés économiques, la méfiance à l'égard des élites, le décalage entre le mode de vie et les valeurs des célébrités et leur présence déconnectée de la réalité. Les gens n'idolâtrent plus les célébrités, y compris les stars de la musique, comme autrefois, ce dont les plateformes de streaming devront peut-être tenir compte pour leur futur potentiel d'abonnement premium.
Comment le Streaming 2.0 affecte-t-il ou affectera-t-il les artistes indépendant·e·s ?
Par ailleurs, des spéculations circulent également sur les conséquences de la mise en œuvre du nouveau modèle pour les artistes, en particulier les artistes indépendant·e·s. L'augmentation du nombre d'abonnements et la croissance des revenus se répercuteront-elles sur les revenus des artistes, leur permettant enfin de recevoir une rémunération équitable pour leur travail acharné ? Beaucoup ont des doutes notables, et on peut dire à juste titre. Même en tenant compte des principes centrés sur les artistes, on peut se demander si ces propositions sont vraiment axées sur les besoins, les désirs et le métier des artistes.
Si la lutte contre le streaming artificiel est cruciale, on peut se demander si la politique de tolérance zéro de Spotify est la bonne solution. Cela est d'autant plus vrai qu'une grande partie de la fraude au streaming se produit à l'insu des artistes, par exemple lorsque leurs morceaux sont inclus dans de fausses playlists sans qu'ils ou elles en aient connaissance. Par exemple, le musicien et créateur de contenu Benn Jordan, figure éminente du secteur, a interrogé plusieurs centaines de musicien·ne·s et découvert que les personnes ayant payé pour des services de streaming frauduleux (qu'elles les aient considérés comme légitimes ou non) étaient légèrement moins susceptibles de voir leur musique retirée de Spotify pour cause de streaming frauduleux.
Cela suggère que, du moins dans cette petite étude, il n'y a pas de corrélation entre le streaming artificiel intentionnel et le fait que les artistes soient accusé·e·s ou sanctionné·e·s pour cela. Jordan laisse également entendre que même lorsque les artistes paient pour que leur musique soit ajoutée à des playlists et proposée à des curateur·rice·s (en utilisant des plateformes fiables telles que Playlist Push ou DailyPlaylists), cela augmente le risque d’être accusé·e·s de faux streams et, dans le pire des cas, de recevoir des amendes ou d’être suspendu·e·s des plateformes de streaming..
Il existe également un seuil minimum de streaming pour générer des revenus, une politique récemment introduite par des plateformes telles que Deezer, Spotify et Amazon Music. Spotify a notamment défendu cette méthode, arguant qu'elle améliore les rémunérations des artistes en dirigeant les redevances vers les musicien·ne·s professionnel·le·s, en devenir et « actif·ves », tout en contribuant à lutter contre la fraude au streaming.
Cependant, les professionnel·le·s du secteur et les indépendant·e·s ont vivement critiqué ces mesures, affirmant qu'elles pénalisaient de manière disproportionnée les artistes indépendant·e·s. À titre de référence, un article publié en 2023 par NME rapportait que, selon les données de Spotify, seuls environ 37,5 millions des 100 millions de titres disponibles sur la plateforme répondaient aux nouvelles exigences pour générer « un quelconque » revenu. De ce fait, près de 60 % des titres disponibles sur Spotify n’atteignent pas le seuil requis. Parmi eux, on retrouve potentiellement des milliers, voire des millions de petit·e·s artistes indépendant·e·s (selon certaines estimations, cela représenterait 26 % des 11 millions d’artistes présent·e·s sur la plateforme), dont la musique a été démonétisée du jour au lendemain et qui, encore aujourd’hui, peinent à atteindre le niveau nécessaire pour générer des revenus.
Les détracteur·rice·s soulignent que ces politiques nuisent directement aux artistes indépendant·e·s et risquent de marginaliser les talents émergent·e·s, tout en redirigeant davantage de fonds vers les titres très diffusés, généralement issus des grandes maisons de disques. IMPALA, l’organisation européenne regroupant les labels indépendants et les associations nationales, a d’ailleurs pris une position ferme à l’encontre du modèle de rémunération dit « centré sur l’artiste ». Selon elle, ce modèle ne vise pas tant à soutenir les artistes qu’à renforcer la domination, la richesse et le pouvoir des majors, en particulier d’UMG.
Et c'est peut-être la conclusion que nous pouvons tirer aujourd'hui au sujet du Streaming 2.0 : même si l'on ne sait pas encore très bien comment cette approche profitera aux artistes et aux fans, on peut affirmer sans risque que les principaux acteurs du secteur, notamment les grandes maisons de disques et les plateformes de streaming, pourraient en tirer des avantages considérables. Mais est-ce suffisant ? Et est-ce vraiment ainsi que se présentera l'avenir du streaming ? Espérons que non...